À l’heure où la pression sur l’État et l’armée libanaise se fait plus forte pour les amener à accepter le principe d’une coordination avec les autorités syriennes, afin de venir à bout de la présence des jihadistes de l’État islamique dans le nord de la Békaa, le Liban officiel a réaffirmé hier ses engagements internationaux dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, donnant ainsi l’impression qu’il rejette la coordination avec Damas tout en s’efforçant d’accorder à l’armée la plus grande marge de manœuvre possible.
« Le Liban est toujours engagé auprès de la coalition internationale (qui opère en Syrie et est dirigée par les États-Unis) et est prêt à libérer son territoire des terroristes. Les autorités ne lésineront sur aucun moyen pour combattre le terrorisme », ont déclaré ainsi le chef de l’État, Michel Aoun, et le Premier ministre, Saad Hariri, dans un communiqué conjoint publié à l’issue d’une réunion, hier à Baabda, du Conseil supérieur de défense.
Réuni pour la première fois depuis le déclenchement, le 20 juillet dernier, de la bataille menée par le Hezbollah contre les jihadistes du Front de Fateh el-Cham (ex-al-Nosra), dans le jurd de Ersal, le Conseil a évoqué hier la situation militaire et sécuritaire dans le pays, plus précisément dans le jurd de Ersal, de Qaa et de Ras Baalbeck et « pris les décisions appropriées pour la réussite de l’opération militaire prévue pour lutter contre le terrorisme et lui faire face », selon le communiqué. C’est tout ce qui ressort, officiellement, des échanges qui ont eu lieu hier lors de cette rencontre, dont la teneur et les décisions sont tenues secrètes conformément à la loi.
Il n’en reste pas moins que la réaffirmation officielle de l’engagement du gouvernement auprès de la coalition internationale est un message on ne peut plus clair destiné à rassurer l’Occident, et plus particulièrement les États-Unis, principaux partenaires de l’armée libanaise, à l’heure où le Hezbollah continue de manœuvrer en vue d’attirer l’armée dans son giron, sur fond de bataille contre l’État islamique.
L’un des deux ministres du Hezbollah, Mohammad Fneich, est revenu hier à la charge en relançant le débat autour d’une coopération « utile et nécessaire » avec l’armée syrienne et le parti chiite, qui seraient ainsi chargés de bouter les jihadistes de Daech de la partie syrienne du jurd. Dans une déclaration à la presse, M. Fneich a assuré que les combattants du Hezbollah et l’armée régulière syrienne sont « fins prêts » à la bataille, précisant que cette dernière a pris la décision « de nettoyer les poches où sont retranchés les jihadistes du côté syrien ». « Cette opération requiert une coordination sur le terrain pour pouvoir réaliser les objectifs communs à la Syrie et au Liban », a-t-il dit. « La résistance est aux côtés de l’armée, sur le plan politique ainsi que sur le terrain. Elle s’en tiendra toutefois à la décision du commandant en chef de l’armée », a poursuivi M. Fneich, précisant à ce sujet que l’institution militaire « sait pertinemment s’il faut ou non établir une coordination avec l’armée syrienne. Nous ne devons pas placer des obstacles politiques devant sa mission militaire », a-t-il encore dit. Le ministre faisait clairement allusion au clivage entre les membres du gouvernement autour de cette question, les anti-Bachar el-Assad étant viscéralement opposés à tout contact avec la partie syrienne.
Ce sont en définitive les requis de la bataille qui amèneront à trancher dans un sens comme dans un autre, affirment certains stratèges militaires qui croient savoir que la synchronisation technique pourrait être incontournable, « d’autant que la délimitation des frontières entre les deux pays n’est pas claire ». « Une coordination minimale est nécessaire pour éviter les erreurs de tirs et les imprévus, comme c’est souvent le cas dans ce type de situation », a indiqué pour sa part un analyste. D’autres, au contraire, sont convaincus que le combat pour libérer le territoire libanais « ne nécessite aucune sorte de coordination avec la partie syrienne, qui peut faire sa part du boulot seule et l’armée libanaise, la sienne ».
Une chose est certaine, souligne notre correspondante Hoda Chédid qui cite des sources proches de la réunion : l’armée est couverte par le chef suprême des forces armées, c’est-à-dire le président de la République, ainsi que par le gouvernement et jouit d’une marge de manœuvre assez « flexible » pour lui permettre de gagner la bataille le plus vite possible et au moindre coût.
Négociations
En même temps, on apprenait hier que le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, poursuit ses contacts en vue d’engager des négociations indirectes avec l’EI. Le général Ibrahim aurait assuré que « les chances de voir aboutir ce processus ne sont pas nulles, à condition d’obtenir prioritairement des informations sur le destin des (neuf) otages militaires », détenus par l’organisation jihadiste depuis 2014. Le directeur de la Sûreté venait de rentrer d’un voyage de 24h à l’étranger.
L’éventualité des négociations n’a pas pour autant empêché la troupe de poursuivre ses opérations militaires dans la région de Qaa et de Ras Baalbeck, les deux processus devant être menés en parallèle, un peu sur le modèle du scénario de l’opération menée par le Hezbollah contre Fateh el-Cham.
Selon des informations rapportées par la LBCI, le commandement de l’armée s’apprête d’ores et déjà à désigner un porte-parole officiel qui tiendra un point de presse au jour le jour pour informer les médias du déroulement de l’opération militaire.
Hier, les réunions de concertation se sont multipliées. Deux rencontres, l’une entre le chef de l’État et le Premier ministre, une autre, entre le président et le général Ibrahim, ont précédé la réunion du Conseil supérieur de défense. Une troisième rencontre a eu lieu en soirée entre M. Hariri et le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun. Ce dernier a informé le chef du gouvernement des mesures prises par les troupes pour faire face aux combattants de Daech.