C’était en septembre dernier, dans le décor crépusculaire de l’Acropole athénienne. En un long discours très mis en scène et largement diffusé, le nouveau président français Emmanuel Macron délivrait à un public acquis – son homologue grec lui avait décerné un peu plus tôt « l’Ordre du Sauveur » – le message de la résurrection d’une Europe en crise existentielle.
Appelant rien moins qu’à une « refondation » de l’Union sexagénaire, il l’exhortait à trouver le chemin de la démocratie, qu’il opposait à la « démagogie ».
Il en précisait quelques semaines après, sous les ors de la Sorbonne, les contours et instruments nécessaires : armée commune en 2020, ministre des finances de la zone euro, parlement européen élu sur listes trans-nationales, police européenne des frontières, légitimité populaire reconquise… « Nous devons, insistait-il, refonder le projet européen par et avec le peuple ».
Accueillis dans l’enthousiasme par des médias français en harmonie, les desseins d’Emmanuel Macron le furent un peu plus fraîchement dans les autres capitales européennes. Les europhiles, du moins retrouvaient dans la ferveur affirmée du nouveau chef d’État – dont l’élection avait été ouvertement soutenue à Bruxelles – des raisons d’espérer. On semblait sortir d’une longue dépression.
Huit mois plus tard, Emmanuel Macron n’a pas renié son positionnement. Recevant le 10 mai une nouvelle distinction – le Prix Charlemagne, cette fois – à Aix-la-Chapelle (Allemagne), il s’y est fait à nouveau le chantre de l’intégration européenne. Fête moins flamboyante qu’à Athènes cependant : entre les deux, la réalité est venue sur bien des fronts tempérer les euphories prématurées.
« L’Europe, quel numéro de téléphone ? » avait lancé en 1970 le secrétaire d’État américain Henry Kissinger pour se moquer de son invisibilité politique sur la scène mondiale. Toujours en vie, il pourrait répéter la boutade près d’un demi siècle plus tard. Dans les graves crises internationales qui se sont succédé durant l’année écoulée, l’Union européenne a le plus souvent montré son absence ou son impuissance, voire ses profondes divisions qui peuvent, au passage, laisser perplexe sur l’objet d’une défense commune.
Le bombardement punitif inédit effectué sans mandat de l’ONU, sur la Syrie en avril dernier a impliqué, au côté des États-Unis, deux États membres de l’Union (France et Royaume-Uni) sans consultation des 26 autres.
Dans la question – cruciale – de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les Etats-Unis, la « diplomatie européenne », par la voix de sa « cheffe » Federica Mogherini, a surtout sobrement rappelé son respect des résolutions onusiennes.
Mais si la plupart des États membres historiques de l’U. E. maintiennent assez fermement leur non-reconnaissance de l’annexion de la ville par Israël, d’autres, à l’Est, y sont explicitement ouverts : c’est le cas de la Roumanie, de la République Tchèque et de la Hongrie – globalement bien plus attachées à l’Amérique qu’à l’Europe – qui envisagent de suivre Donald Trump dans son déménagement d’ambassade.
Dans le dossier iranien, face aux menaces de ce dernier contre les entreprises qui s’aviseraient d’ignorer le diktat américain, Bruxelles a immédiatement exprimé son indignation et défendu le traité menacé.
L’ordre réel du monde étant ce qu’il est – 90% des échanges internationaux traités en dollars malgré un poids économique de l’UE supérieur à celui des États-Unis -, le président de la Commission Jean-Claude Juncker n’en a pas moins tout aussi vite reconnu « limités » les moyens de réaction de l’Europe. Malgré l’unité de façade affichée par cette dernière et une fermeté verbale exprimée par la France, on peut douter que la résistance à Washington soit très longtemps suivie par les 28.
Mais c’est surtout sur le plan intérieur que l’Union européenne – un an avant le scrutin qui doit renouveler son parlement mais aussi indiquer l’état des opinions publiques à son égard – voit se multiplier les fissures les plus graves depuis sa fondation.
Elles ne sont plus, comme au début de la décennie, surtout localisées dans ses États du sud surendettés et humiliés par des austérités imposées. La classe politique dominante, aux élections européennes de 2014, était tétanisée par les montées de Podemos ou Syriza, mouvements de gauche sagement contestataires présentés par des éditorialistes enflammés comme une nouvelle menace bolchevique. Ils ont aujourd’hui bien d’autres choses à craindre.
Voté en juin 2016, le Brexit n’est pas achevé et de nombreuses questions restent en négociation pour encore au moins un an, dont le statut futur de la Grande-Bretagne – puissance économique majeure – vis à vis de l’Union. Là n’est plus, pourtant, le principal foyer de craquements.
De Hongrie en Slovaquie, d’Autriche en Pologne, l’Europe connaît – après la France – une montée spectaculaire de l’extrême-droite ou de la droite dite « populiste ». Ni l’Allemagne ni la Scandinavie, naguère incarnation de la social-démocratie, n’en sont préservées. Plusieurs gouvernements sont désormais en délicatesse avec les « valeurs communes » de l’Europe.
Dirigée par l’ultra-conservateur parti Droit et Justice, la Pologne est placée sous surveillance officielle de Bruxelles pour ses entorses à l’État de droit. Refusant toute concession à l’égard des migrants, le Premier ministre hongrois Viktor Orban – vainqueur pour la quatrième fois d’élections en avril dernier – s’est imposé comme le champion régional anti-musulman et … anti-européen. Et les tensions générées par la question des réfugiés n’ont été réduites qu’en payant la quasi-dictature turque comme garde frontière du continent.
Source:(AFP)