Arrivé en tête au premier tour avec 46% des voix, Jair Bolsonaro, le candidat de l’extrême droite, pourrait faire basculer le pays dans un régime populiste.
Ce n’est pas une alternative démocratique classique qui s’offre aux Brésiliens, le 28 octobre, avec le deuxième tour de l’élection présidentielle. C’est un choix politique et social fondamental entre le maintien de la démocratie, que le plus grand pays d’Amérique latine pratique depuis trois décennies, et le basculement dans un régime populiste dirigé par un candidat d’extrême droite.
Arrivé très largement en tête du premier tour dimanche 7 octobre, avec 46 % des voix, ce candidat, Jair Bolsonaro, 63 ans, ne fait mystère ni de ses préférences politiques radicales, ni d’une vision très primaire de la société. Cet ancien capitaine d’infanterie, soudain sorti de l’anonymat d’une longue carrière insignifiante de député de base, a marqué la campagne par ses propos racistes, misogynes et homophobes.
Il a fait ressurgir le souvenir d’une période sombre pour le pays, celle de la dictature militaire (1964-1985), et semblé s’en amuser. Ses préconisations pour la lutte contre la criminalité – « Un bon bandit est un bandit mort », dit-il – sont plus proches des pratiques du président philippin Duterte que de celles de l’Etat de droit. Son probable futur vice-président, le général Hamilton Mourao, n’a pas craint d’évoquer l’option d’un « auto-coup d’Etat » en cas d’anarchie et a suggéré l’élaboration d’une Constitution sans l’aval du Congrès.
L’ascension de Jair Bolsonaro ne doit pas surprendre. L’ancien officier a su capter la rage d’électeurs dévastés par une récession historique en 2015 et 2016. Il a compris la rancœur d’une population exaspérée par la corruption et la criminalité. Il a, enfin, su profiter de la soif de changement d’une partie du pays, désireuse de tourner la page de douze ans et demi de gouvernement du Parti des travailleurs (2003 à mi-2016) et de ses erreurs.
Cette campagne électorale chaotique, dont un premier candidat, l’ancien président Lula da Silva, incarcéré pour corruption, a finalement été interdit de concourir, et un autre, M. Bolsonaro, a été poignardé en plein meeting, consacre sans doute le crépuscule du « lulisme », autrefois encensé.
Les chances de Fernando Haddad, l’héritier de Lula et candidat du Parti des travailleurs (PT, gauche), sont maigres, avec seulement 29 % des voix au premier tour : les trop nombreuses erreurs politiques, économiques et éthiques du PT, et son implication dans des affaires de pots-de-vin titanesques, expliquent très largement le rejet de l’électorat brésilien.
On ne peut pour autant mettre le PT et Jair Bolsonaro sur un pied d’égalité. Lula et ses héritiers n’ont jamais mis en danger le processus démocratique au Brésil. Ils ont quitté le pouvoir lorsque la présidente Dilma Rousseff a été destituée en 2016, à l’issue d’une procédure dont ils contestaient pourtant la légitimité. La perspective d’une présidence Bolsonaro est en revanche lourde de menaces pour la jeune démocratie brésilienne.
La vague réactionnaire qui balaie la plus grande démocratie d’Amérique latine, portée par un ancien militaire au discours incendiaire qui cultive le souvenir fantasmé de la dictature, n’est pas sans lien, malgré ses particularités locales, avec le succès des candidats « antisystème » en Europe ou aux Etats-Unis. Mais ce raccourci ne doit pas masquer l’enjeu de fond que constitue cette élection brésilienne : il s’agit ici, purement et simplement, de la survie d’un régime démocratique dans un continent où sa fragilité est historique.
Source :lemonde.fr