Sept millions de Tunisiens sont appelés à voter dimanche pour la deuxième élection présidentielle libre de leur histoire, à l’issue d’une campagne qui laisse le suspense entier et a ranimé la flamme politique dans le berceau du Printemps arabe.
Vingt-six candidats, dont un en prison, des familles politiques éclatées, des programmes parfois peu différenciés: rarement l’incertitude aura été si forte dans ce pays qui a connu plusieurs scrutins depuis la révolution de 2011 –dont une présidentielle en 2014–, et a poursuivi sur la voie démocratique malgré les embûches.
“Il y a un peloton de favoris, et toutes les combinaisons sont possibles: même le Bon Dieu ne peut pas nous dire le résultat du premier tour, encore moins la suite”, souligne l’éditorialiste Zied Krichen. “Cette élection est vraiment celle de l’incertitude”, renchérit le politologue Hatem Mrad.
Si la ligne de partage était claire lors de la présidentielle de 2014, entre islamistes et anti-islamistes, ce n’est plus le cas dans le paysage politique de 2019, qui s’éparpille en plusieurs pôles, selon M. Mrad: islamistes, laïques, populistes et partisans de l’ancien régime.
L’un des candidats en vue, le publicitaire controversé Nabil Karoui, poursuivi depuis 2017 pour “blanchiment d’argent”, a été placé en détention provisoire trois semaines avant les élections.
La situation pourrait devenir ubuesque si M. Karoui passait le premier tour. Le sulfureux homme d’affaires s’est construit une forte popularité en organisant ces dernières années des distributions d’aide médiatiques dans les régions défavorisées, et la chaîne privée Nessma qu’il a fondée fait sa campagne au rouleau-compresseur.
Le Premier ministre Youssef Chahed, qui a démenti toute instrumentalisation de la justice dans cette affaire, fait également figure de poids lourd dans l’élection, même si son niveau de popularité interroge.
Le ministre de la Défense Abdelkarim Zbidi, l’universitaire indépendant conservateur Kais Saied, ou encore un opposant à la dictature de Zine el Abidine Ben Ali et ex-ministre, Mohamed Abbou, sont également cités.
Dans la famille islamiste, le populaire avocat septuagénaire Abdelfattah Mourou porte les couleurs du parti Ennahdha, qui a toujours été au pouvoir –seul ou au travers d’alliances– depuis la révolution.
Deux femmes, dont une avocate farouchement anti-islamiste, Abir Moussi, sont aussi sur la ligne de départ.
La campagne s’achève vendredi, sans qu’aucun candidat ne soit véritablement sorti du lot, en dépit de multiples débats à la radio et de soirées politiques télévisées très commentées, signe d’un regain d’intérêt après le désabusement des scrutins récents.