Après le refus par Angela Merkel de son « ultime » plan de retrait, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, est face à un choix cornélien.
C’était sa principale promesse de campagne. Boris Johnson s’était engagé, devant les militants conservateurs, à sortir le Royaume-Uni de l’UE au 31 octobre « advienne que pourra ». Mais le Parlement lui interdit un retrait abrupt sans accord. Le Benn Act, du nom du parlementaire travailliste Hilary Benn, à l’origine de la législation, oblige le Premier ministre à demander une extension de l’article 50 si aucun arrangement n’est trouvé entre Londres et Bruxelles d’ici au 19 octobre.
L’avis de PATRICK MARTIN-GENIER,professeur à Sciences-po Paris et spécialiste de la Grande-Bretagne.
Mis en échec par le Parlement dont il a tenté de réduire le rôle sur le Brexit par tous les moyens, le nouveau Premier ministre britannique n’a pas renoncé à passer en force, ou par la ruse, pour entraîner son pays dans une sortie sans accord de l’Union européenne. Mais il joue gros.
Dès l’arrivée de Boris Johnson à Downing Street, en juillet, vous annonciez qu’il se heurterait au Parlement et tenterait très vite de le dissoudre. Avez-vous néanmoins été surpris par la forme qu’a pris cet affrontement ?
PATRICK MARTIN-GENIER. Oui, j’ai quand même été étonné par le mépris affiché vis-à-vis du Parlement : on n’avait jamais vu cela dans l’histoire institutionnelle de cette grande démocratie parlementaire. Cet été, Boris Johnson a commencé par déployer une rhétorique guerrière, traitant ses adversaires de « collaborateurs », ce qui veut dire qu’à ses yeux l’Union européenne est considérée comme un ennemi.
De même, dans l’enceinte de Westminster, il a accusé les travaillistes d’agiter le drapeau blanc pour se rendre face aux Européens, comme s’ils étaient des traîtres. On a vu l’un de ses ministres s’allonger avec désinvolture sur les banquettes du Parlement. Et son principal conseiller, Dominic Cummings, s’est permis d’insulter des parlementaires. Tout cela a choqué mais n’est finalement guère surprenant car en réalité le Parti conservateur se trouve noyauté par l’extrême-droite.
Après avoir essuyé successivement trois camouflets au Parlement, Boris Johnson va demander lundi un nouveau vote sur des élections anticipées. Que cherche-t-il ?
En réalité, il n’a pas renoncé à passer en force. Il a répété qu’il ne solliciterait jamais un nouveau report de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne mais le parlement l’a bloqué en lui interdisant une sortie sans accord, le fameux « no deal ». Comment peut-il faire sinon essayer de trouver un nouveau subterfuge institutionnel?
« BoJo » a-t-il encore des atouts dans son jeu ?
Dès lors que la loi bloquant le « no deal » aura été définitivement adoptée, en principe ce vendredi soir, il va essayer de faire un accord avec Jeremy Corbyn (NDLR : le chef du Parti travailliste) et lui dire : OK pour le report mais je demande des élections législatives anticipées. Lesquelles pourraient avoir lieu dès le 15 octobre, soit juste avant le prochain Conseil européen. Le seul problème c’est que personne ne fait plus confiance à BoJo.
Beaucoup à Londres redoutent que dans l’hypothèse où Johnson gagne ces législatives anticipées — sans doute en s’alliant avec les ultra-brexiters de Nigel Farage — il fasse ensuite voter une délibération pour annuler la précédente loi, ce qui lui permettrait de ne pas négocier de report avec l’UE et de sortir sans accord. La stratégie de Boris Johnson, c’est toujours le poker menteur. Comme dit Jeremy Corbyn, même son frère ( NDLR : Jo Johnson qui vient de se mettre en retrait du gouvernement) ne lui fait pas confiance!
Que se passera-t-il si, comme c’est probable, l’opposition refuse une nouvelle fois ce lundi de voter pour des législatives anticipées ?
C’est un peu du billard à cinq bandes : l’opposition pourrait dire qu’elle accepte un retour vers les urnes, mais pas avant le 31 octobre afin de s’assurer que le report du Brexit sera bien effectif. Il faut donc attendre ce lundi pour que, d’abord, la loi sur le report du Brexit soit signée par la reine. Il ne resterait plus que ce lundi ou mardi au plus tard — le Parlement étant ensuite été mis en congé par le gouvernement —, à Boris Johnson pour demander un vote de confiance aux députés.
Comme les travaillistes notamment ne lui accorderont pas cette confiance, le gouvernement tomberait et l’opposition disposera d’un délai de quinze jours pour tenter de former un gouvernement. Si cela se produit, cela voudra dire que Boris Johnson ne sera plus le Premier ministre lors du Conseil européen du 17 octobre. Tout cela repose sur des hypothèses car on n’a jamais vu une situation pareille au Parlement britannique.
Boris Johnson peut donc perdre la partie ?
Oui, on serait un peu dans un scénario à l’italienne. Là, plutôt que de provoquer des législatives anticipées qui amèneraient une majorité dure en faveur d’une sortie sans accord de l’UE, la classe politique s’organiserait pour faire en sorte d’écarter Johnson sans qu’il y ait de nouvelles élections.
La personnalité controversée du leader travailliste Jeremy Corbyn n’est-elle pas le principal obstacle à l’éviction de Johnson ?
Oui, Corbyn est d’ailleurs en train d’envisager qu’une autre personnalité puisse diriger un gouvernement intérimaire. Cela pourrait être éventuellement Kenneth Clarke, un conservateur modéré, ou bien une travailliste qui pourrait prendre la tête d’un gouvernement d’union nationale.
Source : International