Un virus émergent, ravageur pour les tomates, poivrons et piments, inquiète l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Il n’existe aucun traitement.
Alors que les autorités sanitaires dans le monde entier se mobilisent pour enrayer la propagation du coronavirus, une maladie tout aussi virulente menace, elle, une autre partie du vivant : le Tomato Brown Rugose Fruit Virus, ou ToBRFV, particulièrement dangereux pour la culture des tomates, poivrons et piments. Ce virus est apparu pour la première fois dans le village d’Ohad au sud de Palestine occupée en 2014, et s’est rapidement étendu à la Jordanie, où il est repéré en 2015 sur des tomates produites sous serre… Suivront le Mexique, les États-Unis, puis l’Allemagne en 2018, l’Italie, le Royaume-Uni, la Grèce, les Pays-Bas… Des signalements ont été confirmés en Turquie et jusqu’en Chine. « C’est un virus très inquiétant, car si l’on connaît bien le genre auquel il appartient, il n’existe à ce jour aucun traitement ni aucune variété résistante au ToBRFV », explique Philippe Reignault, directeur de la santé médicale à l’Anses. « Et la gamme des dégâts observés va de 10 % à 100 % des plantations. Pour un producteur professionnel, même un faible seuil est catastrophique ! »
Appartenant à la famille des tobamovirus, ce « virus du fruit rugueux brun de la tomate » est spécialisé, c’est-à-dire que seuls les tomates, les piments et poivrons, mais aussi les aubergines, les pétunias, le tabac et les plantes sauvages y sont sensibles. Il ne présente aucun danger pour l’homme (on peut consommer sans risque une tomate infectée), mais l’homme est en grande partie responsable de sa propagation. Le virus pénètre dans la plante par des microblessures provoquées par tout contact physique avec un porteur : d’autres plantes infectées bien sûr, mais aussi les mains du jardinier, ses outils de travail (couteaux, sécateurs), ses vêtements, des insectes pollinisateurs, des oiseaux… Une fois dans la plante, il se propage de cellule en cellule jusqu’à l’envahir totalement. Les fruits, mais aussi les plants et les semences vont rester infectieux pendant des mois, sur tout type de support, ce qui explique la propagation du virus à travers la planète. « C’est un virus très stable, persistant. Quand il est repéré, il faut donc passer par une étape de vide sanitaire », précise Philippe Reignault. Concrètement : il faut arracher les plants, les brûler, et cesser de cultiver l’endroit jusqu’à décontamination de la serre ou du sol. L’Allemagne et les États-Unis ont pris des mesures drastiques pour l’éradiquer. Les autres pays touchés n’ont pas encore réussi.
D’où l’alerte lancée par l’Anses, qui appelle à renforcer les mesures déjà mises en place, en novembre, à l’échelle européenne : depuis l’automne, les végétaux destinés à la plantation de tomate et de piment à destination de l’Union européenne doivent être accompagnés d’un certificat phytosanitaire certifiant qu’ils proviennent d’une zone épargnée par le virus, et dans le cas des semences après des tests les prouvant indemnes de contamination. Mais les fruits ne sont pas concernés par ces restrictions… Or « la probabilité de transfert du virus des fruits importés vers les plantes en cultures » pourrait être élevée pour des productions familiales, où les cuisines sont proches des plantations, note l’Anses. Qui s’inquiète aussi des risques présentés par l’achat de semences ou de plants sur Internet, sans contrôle… « La tomate est le légume le plus emblématique du jardin amateur », souligne Philippe Reignault. La menace vise non seulement les 683 000 tonnes de tomates produites chaque année en France (elles représentent 12 % de notre production totale de légumes, principalement en Bretagne, dans les Pays de la Loire et en Paca), mais aussi les quelque 400 000 tonnes produites et consommées dans les jardins de particuliers.
Taches jaunes
L’Agence sanitaire recommande aux autorités française d’étendre la réglementation déjà en vigueur aux fruits infectés, et de garantir que les plants importés proviennent tous de régions connues pour être indemnes du virus. Elle plaide également pour un renforcement des contrôles, et la mise en place d’un plan de surveillance. Il est « crucial, écrit l’Agence, de signaler rapidement la présence » du virus dans les aires de production, afin d’engager au plus vite « une action rapide et déterminée d’élimination. »
On reconnaît ce virus par le motif en mosaïque qu’il laisse sur les plus jeunes feuilles, la tête, les pousses et sur les tomates. Les fruits peuvent présenter des taches jaunes, jusqu’à des lésions brunes, des nécroses telles qu’elles empêcheront la commercialisation.
On ignore encore comment ce virus est apparu. L’un des scénarios envisagés par les chercheurs est que le ToBRFV existait à l’état naturel chez des plantes sauvages, et se serait transmis à des plantes cultivées. Il est aussi possible qu’un autre virus ait muté dans une version très agressive… Contre laquelle il n’existe, pour l’heure, aucun traitement, qu’il soit de biocontrôle, chimique ou génétique.
Source : Le Point.fr