Le groupe français va racheter son rival canadien. Revanche après l’échec de sa fusion avec l’allemand Siemens, l’opération le fera doubler de taille.
«Une grande opportunité ; une opportunité unique.» C’est par ces mots qu’Henri Poupart-Lafarge, PDG d’Alstom, a qualifié l’acquisition de Bombardier Transport, filiale ferroviaire du groupe canadien. Avec cette opération «transformante», Alstom double de taille en donnant naissance à un champion transatlantique du matériel ferroviaire, de la «mobilité durable» et des services de 15,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, assis sur un solide carnet de commandes évalué à 75 milliards d’euros, avec 76.650 salariés dans le monde.
Ce nouveau géant du ferroviaire sera mieux armé pour affronter la concurrence de plus en plus vive sur les marchés, en particulier du chinois CRRC (28 milliards de chiffre d’affaires), qui ne cache pas ses ambitions internationales. Après l’empêchement de son mariage avec l’allemand Siemens en février 2019 suite au veto de la Commission européenne, Alstom prend une belle revanche.
La rumeur de ce mariage au sommet entre le fabricant du TGV et son homologue canadien s’était amplifiée ces derniers jours. Alstom l’a officialisé, lundi 17 février dans la soirée. Après plusieurs semaines de discussions, les deux groupes et la Caisse de dépôt du Québec, actionnaire principal de Bombardier Transport avec plus de 32% du capital, se sont mis d’accord sur un prix et un calendrier.
Les trois groupes ont signé un protocole d’accord aux termes duquel Alstom s’engage à racheter 100 % de Bombardier Transport pour un prix compris entre 5,8 et 6,2 milliards d’euros. L’acquisition sera payée pour partie en numéraire et pour partie en actions nouvellement émises par Alstom. La Caisse de dépôt du Québec s’est engagée à réinvestir quelque 2 milliards d’euros dans Alstom et à réaliser un investissement additionnel de 700 millions.
Au «closing» de la transaction, prévue au 1er trimestre 2021, l’institutionnel canadien détiendra 18% du nouvel ensemble, le groupe Bouygues, qui soutient l’opération, verra sa participation ramenée à 10% (contre 15% aujourd’hui) et les actionnaires d’Alstom détiendront le solde du capital.
Reste à obtenir le sésame des autorités de la concurrence dans plusieurs parties du monde et, en particulier, en Europe «la seule région où des questions pourraient se poser mais qui devraient trouver des solutions», selon Laurent Martinez, directeur financier d’Alstom. Les deux groupes seront en effet en quasi-monopole sur les matériels roulants en France, en particulier dans le métro et le RER en Île-de-France où ils ont l’habitude de coopérer.
De façon générale toutefois, ils sont «complémentaires» sur tous les plans – géographique, matériels roulants, implantations industrielles, services… «Le gros point d’achoppement du deal avec Siemens était notre part de marché cumulée dans la signalisation. Or, Bombardier Transport est un acteur assez modeste en Europe dans ce domaine», précise Henri Poupart-Lafarge. «Lorsqu’elle a examiné le projet de mariage avec Alstom, la Commission n’avait pas d’historique sur notre filière depuis vingt ans. Aujourd’hui, elle est au fait des enjeux de l’industrie ferroviaire. La commission est plus ouverte», a ajouté le PDG d’Alstom. Qui se dit «beaucoup plus confiant» dans la capacité du nouvel ensemble d’obtenir un «nihil obstat» de la part de Bruxelles.
Alstom a pris les devants et a déjà discuté de façon informelle avec les équipes de Margrethe Vestager, la commissaire en charge de la Concurrence. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui s’est «réjoui qu’Alstom, à travers l’acquisition de Bombardier Transport, joue un rôle de premier plan dans le renforcement nécessaire de l’industrie ferroviaire européenne», doit rencontrer ce mardi Margrethe Vestager à Bruxelles.
Une fois le mariage célébré, Alstom devra s’atteler au redressement de Bombardier Transport dont plusieurs contrats récents ont rencontré des difficultés. Ce travail ne passera cependant pas par des suppressions d’emplois, a rassuré Alstom. Mais par la mise en œuvre de synergies dans les achats, la R&D et le développement-produit, ainsi que la mise en commun des systèmes d’information. Mais aussi par les bénéfices attendus de la force de frappe industrielle, commerciale et numérique du nouvel ensemble dans le monde avec l’alliance entre les positions fortes du canadien en Chine, aux États-Unis ou encore en Afrique du Sud avec celle d’Alstom en Inde, en Malaisie, à Singapour ou encore dans le sud de l’Europe.
De son côté, Bombardier accélère son désendettement. En mauvaise posture, le groupe canadien a déjà cédé sa participation dans Airbus Canada à l’avionneur européen la semaine dernière.