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La chloroquine, un remède miracle contre le coronavirus? Pas si sûr

Le directeur de l’Institut Méditerranée Infection s’est fait l’écho d’études avançant que ce traitement antipaludique serait efficace. D’autres se montrent plus prudents.

“CORONAVIRUS : fin de partie !”, a lancé, hier soir, l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (APHM), sur son compte Twitter. La raison de ce message triomphant ? Le professeur Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerranée infection, annonce “un scoop de dernière minute”. Une étude chinoise, publiée par la revue BioScience Trends et disponible en ligne, démontrerait l’efficacité de la chloroquine – un médicament utilisé contre paludisme -, dans le traitement du Coronavirus SARS-CoV-2 et sa maladie Covid-19.

“Les Chinois, qui sont les plus pragmatiques, plutôt que de chercher un vaccin ou une nouvelle molécule, ont testé des molécules anciennes, connues, sans problème de toxicité, explique le professeur. Ils ont trouvé que la chloroquine est active sur le nouveau coronavirus.” L’étude affirme effectivement que “500 milligrammes de chloroquine par jour pendant 10 jours” produiraient “une amélioration spectaculaire dans tous les cas positifs d’infection”, souligne Didier Raoult. “L’excellente nouvelle est qu’il s’agit probablement de l’infection respiratoire la plus facile à traiter”, se réjouit-il.

Si cette information se confirme, il s’agirait effectivement d’une très bonne nouvelle. Son annonce a néanmoins suscité quelques réserves dans la communauté scientifique, qui invite à la prudence. Et ce, pour plusieurs raisons.

“Il y a très peu d’informations dans cette étude”

 D’abord, l’étude citée par le professeur Raoult ne donne finalement que très peu de détails sur la méthodologie et les résultats. Si les chercheurs chinois, qui ont effectué des essais cliniques dans 10 hôpitaux et sur 100 patients touchés par le Covid-19, affirment que leurs travaux “ont démontré que la chloroquine est supérieure à un traitement de contrôle [un placebo, NDLR]”, ils n’indiquent par exemple pas à quel point la chloroquine est plus efficace par rapport au placebo.

La comparaison entre les deux méthodes constitue pourtant un élément crucial afin de déterminer l’efficacité ou non d’un traitement. “La quantité d’informations présentées par cette étude est extrêmement faible, tranche Arnaud Fontanet, directeur du département de santé globale à l’Institut Pasteur, interrogé lors d’une Table ronde sur les risques liés au Coronavirus, organisée par le Sénat ce mercredi matin. Donc je reste très prudent [quant à ses conclusions, NDLR]”.

Interrogé par L’Express, Bruno Hoen, Directeur de la recherche médicale de l’Institut Pasteur est tout aussi prudent. S’il estime que la chloroquine constitue “une piste de recherche très intéressante”, il considère que le document publié dans la revue BioScience Trends relève “moins d’une étude scientifique que d’un communiqué, d’une déclaration de résultats. S’il existe des données plus détaillées, je ne les ai pas vues”, assène-t-il.

Les résultats sont “prépubliés” dans une revue peu influente

 En d’autres termes, ces travaux n’ont probablement pas suivi le processus scientifique traditionnel qui impose une relecture et une vérification par d’autres chercheurs avant publication. Si le fait n’est pas étonnant en situation d’urgence – le processus de prépublication permet de gagner deux à trois semaines et d’accélérer les recherches mondiales -, il appelle néanmoins à une grande prudence.

D’autant que, comme le rappelle Arnaud Fontanet, il existe aujourd’hui “une quantité incroyable de journaux médicaux et les plus réputées sont connues : il s’agit de Jama, de The Lancet, etc.”. Le chercheur ne développe pas son raisonnement, mais il est aisé de comprendre le sous-entendu : toutes ne se valent pas. Et BioScience Trends ne figure pas parmi les plus prestigieuses. Son “facteur d’impact” – l’équivalent d’une note pour revues scientifiques – n’est que de 1,6, quand The Lancet affiche 59,1. Son indicateur SJR, une alternative au facteur  d’impact, n’est quant à lui que de 25 contre 700 pour The Lancet.

Egalement interrogé par L’Express, Jean-Marc Rolain, professeur de pharmacie IHU, reconnaît le caractère préliminaire de la récente étude. “Mais elle sera suivie très bientôt par une publication scientifique dans un grand journal, avec relecture par les paris, assure-t-il. Il y a d’abord eu une publication chinoise qui indiquait que la chloroquine montrait des effets in vitro [lors de tests réalisés dans des échantillons en laboratoire, NDLR], nous nous en sommes fait l’écho en disant que c’était encourageant et qu’il fallait désormais attendre des essais in vivo – sur des patients – ce qui est maintenant le cas !”, expose le professeur de l’IHU. S’il concède ne pas avoir consulté de données plus détaillées que celles présentées dans l’étude, il précise que la décision du professeur Raoult se base également sur “plus de 30 ans d’utilisation de cette molécule dans diverses pathologies”.

“La chloroquine, on nous la sort à toutes les épidémies

L’autre argument en faveur de la chloroquine est qu’il s’agit d’un médicament relativement bien toléré, même si elle n’est pas dénuée de toxicité. Comme tous les médicaments, il s’accompagne d’effets secondaires, les plus fréquemment signalés sont des douleurs gastriques, des nausées, des vomissements et des maux de tête et présente également une toxicité cardiaque pouvant entraîner la mort en cas de surdosage qui peut se produire au-delà de 1200 mg par jour. “Mais la fréquence et la gravité de ces effets sont vraiment modérés”, confirme Bruno Hoen.

 Dans leur étude, les chercheurs chinois indiquent d’ailleurs qu’aucune réaction indésirable grave n’a été constatée chez les patients traités. “Compte tenu de l’absence de vaccin et de la demande clinique urgente, ce médicament bon marché, sûr et utilisé depuis 70 ans, doit être recommandé afin de traiter les pneumonies associées à Covid-19 dans des populations plus importantes”, concluent-ils. “C’est une question de bon sens, abonde Jean-Marc Rolain. Si on me dit demain que j’ai le coronavirus, je prends 3 comprimés de 500 mg pendant 10 jours – si les autorités autorisent la prescription bien sûr”.

Yazdan Yazdanpanah, chef du service maladies infectieuses à l’hôpital Bichat de Paris, est plus réservé. Selon lui, les études in vitro qui montrent que la chloroquine est “peut-être” efficace sur le SARS-CoV-2 in vitro. Quant à celle évoquée par le professeur Raoult, il invite, lui aussi, à prendre ces résultats avec précautions. “Ce médicament ne fait pas partie de la liste des traitements prioritaires de l’OMS (…) et la chloroquine, on nous la sort à toutes les épidémies [notamment contre le SARS, le coronavirus cousin du SARS-CoV-2, NDLR], pour l’instant sans succès”, lance-t-il, balayant l’idée d’un traitement miracle.

Une annonce prématurée ?

À ce jour, aucun médicament n’a encore démontré une efficacité clinique dans le traitement du Covid-19, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a publié la liste des traitements en cours d’évaluation sur son site internet. Ces derniers doivent encore prouver leur efficacité sur l’Homme, mais aussi qu’ils n’induisent pas de résistances ou d’effets secondaires trop importants. En attendant, la prescription de chloroquine afin de soigner le Covid-19 reste interdite tant que le ministère de la Santé ne donne pas son feu vert. Quant à un éventuel vaccin, la plupart des chercheurs s’accordent à dire qu’il ne sera pas disponible avant 12 mois au minimum. Et comme le remarque Arnaud Fontanet : “Il n’existe toujours pas de vaccin ni de traitement spécifique pour le MERS, un autre coronavirus cousin du SARS-CoV-2, malgré six ans de recherche”.

Sans surprise, toutes ces raisons ont provoqué une certaine gêne des spécialistes. Sous le tweet des hôpitaux universitaires de Marseille, plusieurs médecins dénoncent une annonce “prématurée”, voire “dangereuse”, puisqu’ils estiment qu’elle pourrait donner de faux espoirs et nuire au message de prévention, comme se laver les mains, éternuer dans son coude ou encore limiter les contacts humains. “Coronavirus : fin de partie ? Je ne crois pas qu’on puisse encore dire ça aujourd’hui”, conclut Bruno Hoen.

Source : lexpress.fr

 

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