Une véritable enquête policière a été lancée pour retrouver la personne qui a amené le Sars-CoV-2 dans le département. Jeudi soir, la France comptait 38 cas confirmés, dont 12 en lien avec les deux patients de l’Oise.
Les deux malades du Covid-19 dans l’Oise, dont l’un est décédé dans la nuit de mardi à mercredi, sont-ils les premières victimes d’un début d’épidémie sur le territoire? Jusqu’à jeudi soir, le gouvernement se voulait rassurant et répétait que si l’épidémie était à nos portes, elle n’était pas encore arrivée. Mais le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé jeudi soir lors du point presse quotidien que le nombre de cas confirmés en France était dans la journée passé de 18 à 38. Vingt cas de plus en 24 heures, donc, dont «un regroupement de 12 cas» lié aux deux malades identifiés mercredi dans l’Oise. Plusieurs investigations «toujours en cours» sont «susceptibles de faire évoluer ce bilan», a par ailleurs ajouté le ministre.
“Il va y avoir une situation un peu à l’italienne”, avec “des chaînes de transmission autochtones”, a prévenu ce jeudi 27 février le professeur Éric Caumes, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à La-Pitié-Salpêtrière à Paris, face au président Emmanuel Macron, en visite dans son service. ”Ça veut dire que le virus circule déjà parmi nous”, a-t-il expliqué, rappelant que ces deux patients “n’ont pas de lien avec la Chine”.
L’un des objectifs premiers de ces recherches est de retrouver le patient zéro, “responsable de la contamination du patient identifié”, explique le professeur Didier Cannet, médecin généraliste épidémiologiste. C’est ce patient zéro qui, parce qu’il a eu un lien direct avec le foyer de l’épidémie, a transmis le virus, sans le savoir, à un ou plusieurs patients aujourd’hui hospitalisé(s) et isolé(s). “Le trouver est essentiel car cela nous permet de reconstruire la chaîne de contacts et les éventuelles contagions uniques ou multiples”, ajoute Didier Cannet, contacté par Le HuffPost.
“Moins vite nous trouvons le patient zéro, plus il aura le temps de multiplier les contacts durant sa contagiosité” a dit Didier Cannet, médecin généraliste épidémiologiste.
L’intérêt du patient zéro, au cœur de cette procédure d’enquête appelée “contact tracing”, est né avec l’épidémie de Sras en 2002-2003, précise Frédéric Keck, anthropologue au CNRS. “Avec les figures de Mary Mallon, surnommée Mary Typhoïde au début du 20e siècle, et le steward Gaëtan Dugas, soupçonné d’avoir introduit le virus du Sida aux États-Unis dans les années 1980, le patient zéro était au départ une construction médiatique, une figure rétrospective de bouc émissaire”, raconte l’auteur des Sentinelles des pandémies. “Avec le Sras, le patient zéro est devenu une véritable figure épidémiologique permettant de retracer les cas”, ajoute-t-il auprès du HuffPost.
Et il n’y a pas de temps à perdre. “Il s’agit d’une course contre la montre, estime le professeur Didier Cannet. Moins vite nous trouvons le patient zéro, plus il aura le temps de multiplier les contacts durant sa contagiosité”.
Le médecin évoque par ailleurs deux hypothèses sur lesquelles planche toujours la communauté scientifique: l’existence de “porteurs sains”, dont les symptômes sont si faibles que leur contamination passe inaperçue, et la possibilité qu’un patient puisse contaminer pendant la période d’incubation (longue de 14 jours pour le coronavirus). Plus le temps passe et plus il y a de chances que le patient zéro soit dans l’un de ces deux cas. “Moins vite nous le trouvons, plus nous pouvons penser que le virus est bien plus omniprésent” que ce que nous pouvions imaginer, explique le médecin.
Après le “déterminant géographique”, mis à mal par la propagation du virus à l’international, le “déterminant symptomatique” pourrait ne plus servir à la “stratégie d’endiguement” du virus.
Un travail long et complexe
Dans cette “course contre la montre”, épidémiologistes, biologistes et statisticiens doivent réaliser une enquête méticuleuse pour retrouver ce patient zéro. Au chevet de chaque patient infecté, et auprès de ses proches lorsque le patient est décédé, ils doivent retrouver toutes les personnes avec lesquelles il est entré en contact pour s’assurer qu’elles n’en contamineront pas d’autres à leur tour. “On interroge également l’entourage, car le patient a pu oublier ou cacher des relations”, indique Anne-Marie Moulin, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de l’histoire des épidémies.
Le sujet réveille en elle des “souvenirs pénibles”. Car ces enquêtes revêtent un “caractère policier” dont elle a été personnellement témoin dans les années 1980 à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne). L’équipe médicale avait alors mené des “interrogatoires” dans une “ambiance policière” et tenté d’obtenir les aveux de l’homosexualité d’un malade “atteint de ce qui ne s’appelait pas encore le Sida”, avant sa mort. “La raison de son infection était en fait simple: elle avait eu lieu lors d’une transfusion en Haïti après un accident de moto”, raconte Anne-Marie Moulin au HuffPost. “Ces interrogatoires sont parfois orientés en fonction des croyances et connaissances du moment”, conclut-elle.
Il s’agit souvent de rester assis plusieurs heures au chevet d’un patient à remonter le tempsDr Freya Jephcott, épidémiologiste à l’Université de Cambridge
Ce travail d’enquête est long et complexe. “Il s’agit souvent de rester assis plusieurs heures au chevet d’un patient à remonter le temps, parfois sur des semaines, pour savoir où il est allé, à qui il a parlé, avec qui il a pu être en contact, puis d’essayer de retrouver ces personnes, qui risquent d’exposer encore davantage de monde au virus”, explique le Dr Freya Jephcott, épidémiologiste à l’Université de Cambridge et spécialiste du virus Ebola, interrogée par le HuffPost britannique.
“Si vous ajoutez à cela le fait que le patient ne se sent pas bien et a parfois besoin de faire des pauses, ce processus extrêmement laborieux peut prendre plusieurs jours, pour une seule personne, et requiert l’intervention d’un grand nombre de gens”, détaille-t-elle.
La chasse au patient zéro toujours en cours en Italie
Cette recherche est d’autant plus urgente en France que le nombre de cas est encore limité. Dix-huit cas de coronavirus ont été recensés sur le territoire, dont douze en sont guéris. Si la maladie touche un grand nombre de personnes, “on ne peut plus avoir la même approche de suivi de tous les malades ni d’isolement de tous les contacts, car on n’a plus les ressources”, relève le Dr Simon Cauchemez, de l’Institut Pasteur, interrogé par l’AFP.
En Italie, où près de 530 cas ont été dénombrés, dont 14 morts, la chasse au patient zéro est toujours en cours. À ce stade, les autorités n’excluent pas qu’il puisse être une personne déjà hospitalisée. Pour le patron de la région Vénétie Luca Zaia, le fait que le patient zéro n’ait pas encore été trouvé prouve que “le virus est bien plus omniprésent que ce qu’on pensait”.
L’Agence régionale de la Santé de Milan (Asl) a même réuni une équipe de mathématiciens, physiciens et médecins pour créer un algorithme capable de calculer la probabilité que chaque patient ou l’un de ses proches soit le patient zéro.
Source :Huffingtonpost.fr