On considérait généralement que, vaporisé, le Covid-19 n’était pas transmissible. Mais une étude scientifique sème maintenant le trouble. Que dit-elle exactement ?
Il pourrait survivre dans l’air, sur du plastique, du carton et dans nos intestins. Mais la contamination principale demeure le contact entre humains.
Les spécialistes l’ont répété à de nombreuses reprises : le moyen de transmission principal du coronavirus Sars-COV-2 à l’origine du Covid-19 se fait d’humain à humain par l’intermédiaire des expectorations ou postillons, ces (micro) gouttelettes provenant des foyers infectieux dans les voies respiratoires des personnes contaminées. Des gouttelettes propulsées sur des interlocuteurs qui se trouvent trop près – d’où la « distance de sécurité » d’un mètre – ou qui peuvent se retrouver sur les mains ou le visage et se transmettre par les poignées de mains ou les bises.
Trois heures dans l’air
Peut-on respirer des gouttelettes de coronavirus Sars-COV-2 sans être à proximité d’un porteur du virus ? Se trouver infecté simplement en touchant un objet contaminé par un malade ? Ces questions sont liées à la survie du virus hors du cocon que représentent pour lui les fameuses expectorations. Une étude publiée sur le serveur médical MedRxiv nous éclaire en partie sur la question.
L’équipe emmenée par la docteure Neeltje van Doremalen, du laboratoire de virologie de l’institut national américain de recherche sur les allergies et maladies infectieuses (NIAID), s’est intéressée aux survies comparées du virus du SRAS et de celui du Covid-19 sur différents supports. Ce faisant, ces scientifiques ont pu déterminer que le virus du Covid-19 pouvait être détecté dans des aérosols (micro-gouttelettes de moins de 5 microns en suspension dans l’air) jusqu’à 3 heures après avoir été projeté.
Concernant les surfaces, l’étude mentionne une survie d’un maximum de 4 heures sur du cuivre, 24 heures sur du carton et jusqu’à deux à trois jours sur du plastique ou de l’acier inoxydable. Des précisions intéressantes, étant donné que jusqu’ici nous ne disposions que de données générales sur les autres coronavirus connus du SRAS, du MERS ou ceux qui provoquent de simples rhumes. Une étude précédente indiquait en effet qu’ils pouvaient survivre jusqu’à neuf jours sur des surfaces inanimées (métal, verre ou plastique). Les travaux menés par l’équipe de la docteure van Doremalen sont donc plus précis sur ce sujet.
Mais le plus important est sans doute dans la comparaison : la survie des deux virus, celui du SRAS et du Covid, est similaire, que ce soit dans les aérosols ou sur les surfaces (à l’exception du carton pour lequel la contamination au Covid-19 est plus longue). Or, lors de l’épidémie de SRAS de 2002-2003, la transmission de la maladie avait principalement eu lieu entre humains via les expectorations, mais aussi dans quelques cas (à Hong-Kong) par voie fécale. La contamination par objets ne semblait pas être un vecteur important.
Le Covid-19 est plus contagieux, comme le démontre l’étendue de l’épidémie aujourd’hui. Cela proviendrait-il d’autres modes de transmission que les simples expectorations ? Pour la docteure van Doremalen et ses collègues, ce n’est probablement pas le cas, même si leurs résultats « indiquent que la transmission par aérosols et par fomites [des objets contaminés] du virus du Covid-19 sont plausibles, vu que le virus peut rester viable dans les aérosols pendant plusieurs heures et sur les surfaces jusqu’à quelques jours. »
Pour l’équipe américaine, ces « résultats indiquent que la transmissibilité plus grande observée [pour le virus du Covid-19] n’est probablement pas due à une plus grande viabilité environnementale de ce virus comparé au SARS-CoV-1 » (le virus du SRAS). Ce qui veut dire qu’il ne devrait pas y avoir une contamination par objets plus importante que lors de l’épidémie de 2002-2003.
Elle assure également que si les mesures ont montré que le virus du Covid-19 survivait jusqu’à 3 heures en aérosol, « nous ne disons en aucun cas qu’il y a une transmission par aérosol du virus ». En résumé, ce n’est pas parce que le virus peut survivre dans des aérosols à l’air ambiant qu’il y a des aérosols contaminés tout autour de nous. Et survie ne signifierait pas transmission.
On précisera également que cette étude, qui ne concerne pas la contamination des humains par l’air ou par les objets mais bien la survie du coronavirus du Covid-19 dans différents milieux, n’a pas encore fait l’objet d’évaluation par d’autres scientifiques : ses conclusions méritent donc d’être vérifiées.
Des transmissions par objets en Chine ?
Une étude chinoise qui vient d’être publiée dans la revue Emerging Infectious Diseases nous apporte d’autres éléments sur la contamination par l’intermédiaire d’objets. La docteure Jing Cai, directrice adjointe du département de médecine interne globale des hôpitaux de Wenzhou, et ses collègues ont étudié un groupe de personnes touchées par le Covid-19 dans un immeuble abritant un centre commercial situé dans cette ville de 9 millions d’habitants sur la côte est du pays.
Ces scientifiques ont tout d’abord constaté que sept personnes travaillant dans des bureaux du septième étage de l’immeuble avaient été contaminées au Covid-19. Ils ont ensuite découvert d’autres cas dans le même bâtiment : des employés dont les bureaux étaient situés à d’autres étages et des clients des boutiques au niveau du centre commercial.
« Excepté pour ceux qui ont été au septième étage, tous les autres patients ont nié un contact direct avec les autres cas », affirme l’étude.
Comment la contamination a-t-elle pu progresser en différents endroits du même bâtiment mais sans contact humain en commun ?
« La possibilité que des clients aient été infectés par d’autres sources [humaines] ne peut pas être exclue », reconnaissent la docteure Cai et ses collègues. Mais ils auraient alors été contaminés quasiment tous en même temps, ce qui rend l’hypothèse moins probable.
Les auteurs ont aussi noté que l’ensemble des usagers de l’immeuble avaient accès à des équipements communs (toilettes, ascenseurs), et que les employés du niveau 7 se rendaient quotidiennement dans les boutiques. Une personne en charge du nettoyage des toilettes a aussi été atteinte par le coronavirus.
Face à tous ces éléments, l’équipe de la docteure Cai a pu émettre des hypothèses sur la contamination de l’ensemble des malades de l’immeuble. Selon leur étude, « les toilettes communes pourraient être la source d’infection », même si certains clients ne les ont pas utilisées.
Pour ces derniers, les boutons ou parois d’ascenseurs sont soupçonnés, même si les prélèvements s’y sont avérés négatifs. On notera au passage que la transmission fécale est également une source de contamination selon plusieurs études.
« Nous ne pouvons exclure la possibilité de personnes infectées inconnues (des porteurs asymptomatiques) qui auraient répandu le virus », concluent ces scientifiques. Ils estiment cependant que leurs « découvertes semblent indiquer qu’une transmission à basse intensité s’est produite sans contact proche prolongé dans ce centre commercial, c’est-à-dire que le virus s’est propagé par transmission indirecte ». Par l’intermédiaire d’objets, donc.
On l’aura remarqué, il y a une présomption mais pas de certitude absolue.
Toilettes et ventilation contaminées dans une chambre d’hôpital
Une autre étude publiée le 4 mars dans la revue médicale « JAMA » s’est intéressée à la contamination du mobilier en milieu hospitalier. Selon Sean Wei Xiang Ong, du centre national des maladies infectieuses de Singapour et ses collègues, ont déterminé que la chambre d’un patient dans un centre de soins dédié aux malades du Covid-19 avait été contaminée en plusieurs endroits, dont les orifices de ventilation et les toilettes (y compris les poignées de porte).
« Il y a eu une contamination environnementale extensive » par un patient atteint du Covid-19, assurent les auteurs. « Les échantillons de la cuvette des toilettes et du lavabo étaient positifs, ce qui suggère qu’une excrétion virale dans les selles pourrait être un chemin de transmission potentiel. » Bonne nouvelle, après nettoyage, plus de traces du virus, « ce qui suggère que les mesures actuelles de décontamination sont suffisantes », selon ces chercheurs.
Ils reconnaissent cependant les limites de leurs travaux : ils n’ont pas cultivé les virus recueillis pour démontrer qu’ils étaient encore actifs, et l’échantillon de malades étudiés était petit. Ils recommandent donc davantage d’études sur le sujet.
Le grand nettoyage est-il une solution ?
Si le virus pouvait régulièrement se transmettre par l’intermédiaire des objets courants comme un robinet de salle de bains ou une barre d’appui dans un métro, on pourrait alors s’interroger sur la validité de la stratégie de désinfection massive utilisée notamment en Corée du Sud. Après tout, les établissements publics comme les hôpitaux, centres de santé et maisons de retraite ne sont-ils pas désinfectés très régulièrement pour éviter les infections de toutes sortes ? Le virus du Covid-19 ne ferait donc pas exception à la règle. L’agence pour la protection de l’environnement (EPA) américaine a même publié une liste des désinfectants susceptibles d’éliminer le virus .
On sait déjà que l’eau de Javel ou le savon peuvent être efficaces sur les coronavirus en intérieur. « Les coronavirus sont des virus enveloppés d’une couche de graisse protectrice », explique au magazine « Science » Juan Leon, spécialiste de sciences environnementales à l’université Emory (Etats-Unis). Les désinfectants vont dissoudre cette couche et rendre les coronavirus vulnérables.
De manière générale, on peut appliquer les recommandations de précaution tels qu’ils sont par exemple exposés par le CDC américain. « Nettoyer les surfaces visiblement sales suivi d’une désinfection est une bonne mesure pratique pour la prévention du Covid-19 et d’autres maladies respiratoires virales », explique l’organisme, qui cite notamment les endroits les plus fréquemment touchés comme les tables, les poignées de porte, les interrupteurs, bureaux, toilettes, robinets et lavabos. Le tout est d’utiliser ces désinfectants en accord avec leur mode d’emploi et de le faire dans un lieu bien ventilé.
De là à vouloir tout désinfecter y compris nos rues, il n’y aurait qu’un pas à franchir… mais les désinfectants d’intérieur, pour la plupart basés sur l’eau de javel, ne sont peut-être pas aussi efficaces dehors que dedans. La javel se décompose sous l’action des rayons ultraviolets du soleil, mais ces rayons ont aussi des effets destructeurs… sur les coronavirus, comme le souligne Juan Leon. De plus, que va-t-on décontaminer dehors ? « Personne ne se promène en léchant les trottoirs ou les arbres », remarque-t-il.
Les désinfectants ont également des effets secondaires : les utiliser à tort et à travers pourrait devenir pire que le mal en provoquant des irritations des voies respiratoires chez les personnes exposées. Sans parler du coût de désinfections massives pour des résultats dont la validité scientifique reste à démontrer.
Il faut aussi faire preuve de bon sens. Pourquoi nettoyer toutes les heures l’interrupteur d’une chambre occupée par une seule personne (vous) ? Qui d’autre va le contaminer ? La désinfection hors du milieu hospitalier, si elle devenait vraiment nécessaire, ne devrait concerner que les surfaces sur lesquelles de nombreuses mains se posent régulièrement.
On rappellera cependant qu’à l’heure actuelle, le moyen de transmission le plus largement constaté du Covid-19 est le contact entre humains, que ce soit par les mains ou les expectorations. Les mesures d’hygiène corporelle sont donc la toute première barrière contre le virus. Elles ont le mérite de nous protéger à la fois contre les contacts directs avec des porteurs de la maladie et contre d’éventuels virus qui auraient survécu sur des surfaces et seraient encore assez virulents pour être actifs. Une seule méthode pour deux dangers potentiels, c’est plutôt une bonne nouvelle.
Source : L’Observateur