Pour lutter contre le changement climatique, la Convention citoyenne propose notamment une régulation de la publicité des produits polluants. Efficace ?
Doit-on se débarrasser des publicités pour les grosses voitures polluantes ou les compagnies aériennes low cost vantant leurs billets d’avion à moins de dix euros ? L’une des propositions retenues par la Convention citoyenne pour le climat après plusieurs mois de réflexion propose d’« interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de GES [gaz à effet serre, NDLR], sur tous les supports publicitaires ».
L’idée d’une régulation de la publicité en fonction de l’impact environnemental des produits et services vendus fait son chemin. En 2019, les députés Matthieu Orphelin (ex-LREM) et Delphine Batho (EELV) avaient tenté de faire passer un amendement à la loi mobilités pour interdire les publicités de voitures polluantes, sans succès. En mars, le député LREM du Gard Anthony Cellier avait fait adopter un amendement à la loi audiovisuelle enjoignant les diffuseurs à « la conclusion de codes de bonne conduite visant à réduire efficacement les communications commerciales audiovisuelles relatives à des produits ayant un impact négatif sur l’environnement ». Joint par Le Point, il estime que la proposition de la Convention citoyenne est « une bonne chose ». « On voit bien que quand on travaille sur le sujet, on en arrive aux mêmes conclusions. » Interrompu par la crise sanitaire, l’examen du projet de loi devrait reprendre à l’automne.
65 % des Français souhaitent une interdiction
Un premier pas moins radical que la proposition de la Convention citoyenne, mais le député souhaite « continuer à se battre sur ce sujet ». Les consommateurs, eux, semblent prêts. Dans un sondage BVA réalisé pour l’ONG Greenpeace en juin, 65 % des personnes interrogées se disent favorables à une interdiction des publicités pour les marques contribuant le plus au changement climatique comme les avions, voitures, compagnies aériennes… Dans un rapport publié le 17 juin avec Réseau action climat et Résistance à l’agression publicitaire, elle demande une « loi Evin climat », sur le modèle de la loi de 1991 qui a très strictement encadré la publicité du tabac et de l’alcool.
Un autre rapport, « Publicité et transition écologique », remis le 11 juin à la ministre de la Transition écologique et solidaire Élisabeth Borne et à sa secrétaire d’État Brune Poirson, se veut plus mesuré. Ses auteurs soulèvent la difficulté de transposer la loi Evin aux produits polluants, notant que si « le tabac est un produit très identifié, largement répandu et dont l’effet en matière de santé publique est avéré et très coûteux pour la société », délimiter les produits qui seraient concernés par l’interdiction s’annonce plus complexe.
« Faut-il par exemple interdire la publicité pour la mode, secteur qui représente 10 % des émissions mondiales de carbone, soit plus que l’ensemble des émissions provenant des vols internationaux et de la navigation maritime ? » se demandent-ils.
« Plus fondamentalement, interdire la publicité de produits dont la vente n’est ni interdite ni fortement découragée, par exemple par une fiscalité adaptée, pourrait poser des problèmes juridiques. » Le rapport remis aux ministres rejette donc l’idée d’une interdiction, sauf pour les produits appelés à disparaître à une certaine échéance, comme les voitures diesel. Les auteurs préfèrent la mise en place d’une « information climatique » lors des campagnes. « La publicité peut et doit en outre contribuer à l’évolution des comportements, y compris pour davantage de sobriété. L’horizon ne doit donc pas être un monde sans publicité. »
Mais pour les ONG, les mentions légales comme on les trouve déjà dans les campagnes alimentaires ou sur l’énergie – « l’énergie est notre avenir, économisons-la » – ne sont pas efficaces : elles sont « trop générales », créent une « habitude » qui dénature le message et « stigmatisent » le consommateur plutôt que le produit. « Il est nécessaire de mettre un frein aux incitations publicitaires qui jouent, de manière insidieuse, sur nos frustrations et nos désirs, en occultant la réalité sur les impacts environnementaux néfastes des marchandises dont elles font la réclame », écrivent-elles dans leur rapport.
Un gros manque à gagner pour les régies publicitaires
Reste à mesurer l’impact économique d’une telle interdiction sur ces publicités qui rapportent gros aux régies publicitaires. Dans le rapport « Publicité et transition écologique » remis aux ministres, les auteurs rappellent que « la publicité participe au financement des médias » à hauteur d’un tiers pour la presse écrite, et jusqu’à 50 % pour la télévision et la radio. Beaucoup d’entre eux, « en position fragile avec l’explosion numérique, doivent leur survie aux recettes publicitaires ».
Et les industries polluantes visées par les mesures d’interdiction représentent une grosse part de ces recettes publicitaires. En 2019, selon Greenpeace, Réseau action climat et Résistance à l’agression publicitaire, les constructeurs automobiles et les secteurs aérien et pétrolier ont dépensé 5,1 milliards d’euros en communication en France. À lui seul, le groupe PSA Peugeot Citroën a dépensé 1,7 milliard d’euros, dont 915 millions en publicité.
Pas facile pour les régies publicitaires de se débarrasser de ces annonceurs qui pèsent lourd, juste derrière la grande distribution, plus gros annonceur en France. Interrogé dans l’émission La Terre au carré sur France Inter sur le décalage entre la ligne éditoriale de la station et les publicités de voitures qui y sont diffusées, le directeur de la régie publicitaire de Radio France explique que les constructeurs automobiles pèsent près de 30 % du marché sur les antennes du groupe public. « Imaginer une antenne ou une régie se désintéresser d’un secteur qui pèse 30 % du marché publicitaire, c’est pas tenable, reconnaît Pascal Girodias. Donc oui on les démarche. »
Outre-Manche, le journal britannique The Guardian a franchi le pas en début d’année, annonçant ne plus accepter les publicités d’entreprises « impliquées dans l’extraction de ressources non renouvelables ». Une mesure symbolique visant à être plus raccord avec la ligne éditoriale du journal, mais qui vise surtout – et seulement – les entreprises pétrolières. Les dirigeants ont renoncé à interdire plus largement les publicités pour des produits à l’empreinte carbone importante, car « ce n’est pas financièrement viable tant que le modèle économique de l’industrie des médias reste en crise ». Comme souvent en matière de transition écologique, c’est donc tout un modèle qu’il faut réinventer.
Source : Le Point.fr