Accusé par des opposants d’affaiblir la laïcité par sa volonté de “réparer” le lien entre l’Eglise et l’Etat, Emmanuel Macron a eu mardi un échange exceptionnellement long avec le pape François, qui a insisté sur la nécessité d’aider les pauvres.
Pendant près d’une heure, les deux hommes ont eu une discussion “cordiale” sur les migrations, la prévention et la résolution des conflits – en particulier le désarmement – et l’environnement, a précisé le Vatican.
Les rencontres entre le pape et les chefs d’Etat et de gouvernement durent en général moitié moins longtemps.
Ils ont également parlé des conflits au Moyen-Orient et en Afrique et des perspectives du projet européen, au moment où les questions migratoires divisent profondément les membres de l’UE.
Le pape avait réservé l’un de ses premiers déplacements à l’île italienne de Lampedusa, où il avait fustigé “l’indifférence” du monde à l’égard des migrants, et il n’a pas mâché ses mots ces cinq dernières années sur la gestion européenne des flux de migrants traversant la Méditerranée.
Dans une interview à Reuters la semaine dernière, il a mis en garde l’Europe contre un “hiver démographique” si le continent se fermait aux migrants et dénoncé les “psychoses” alimentées selon lui par les populistes.
Le président français a offert au pape un exemplaire rare de l’ouvrage “Journal d’un curé de campagne” de Georges Bernanos.
François lui a offert une médaille montrant Martin de Tours, un saint du IVe siècle, coupant son manteau pour l’offrir à un mendiant.
“La vocation de ceux qui gouvernent est d’aider les pauvres. Nous sommes tous pauvres”, a dit le pape à Emmanuel Macron, qualifié de “président des riches” par nombre d’adversaires, en lui présentant la médaille.
Les deux hommes se sont embrassés sur les deux joues, un geste très peu fréquent entre un pape et un chef d’Etat. Le président français était accompagné de son épouse pour la partie publique de la visite.
Emmanuel Macron devait prendre symboliquement possession mardi de la stalle qui marque son titre de premier et unique chanoine d’honneur de la basilique Saint-Jean-de-Latran. Ce titre est remis de façon automatique aux dirigeants français en vertu d’une tradition qui remonte à Henri IV.
A l’exception de Georges Pompidou, François Mitterrand et François Hollande, tous les chefs d’Etat français de la Ve République depuis le Général de Gaulle en 1967 ont fait le déplacement à Rome pour prendre possession de ce titre.
L’Elysée avait insisté sur le fait que cette cérémonie n’avait “aucune dimension spirituelle mais une signification honorifique et historique”.
“Chanoine n’est pas un titre religieux mais laïc […] il n’y a pas d’enjeu de laïcité”, avait-on souligné, deux mois après le discours des Bernardins, bien perçu par les catholiques mais décrié par l’opposition comme une “atteinte sans précédent à la laïcité”.
Alexis Corbière, député La France insoumise, a vivement critiqué cette démarche mardi devant l’Assemblée nationale.
“J’adresse cette contestation au nom de l’article 2 de la loi de 1905 qui dit clairement que la République ne reconnaît aucun culte”, a-t-il dit. “Qu’on ne vienne pas ici nous dire qu’il s’agit d’une vieille tradition. Cette pratique est tombée en désuétude pendant près de 200 ans […] et elle n’a été rétablie qu’en 1957.”
“Si c’est pour s’inscrire dans la tradition française et maintenir des relations y compris diplomatiques avec le pape, c’est normal”, a dit le député Les Républicains Daniel Fasquelle à des journalistes. “Si c’est pour continuer à saucissonner la société française en communautés et si ce n’est que pour cocher la case communauté catholique, ça ne me va pas.”
Interpréter cette visite “comme un nouveau pas en avant vers les catholiques paraît complètement abusif puisque chacun de ses prédécesseurs l’a fait”, avait expliqué l’Elysée.
Emmanuel Macron “a dit à maintes reprises qu’il était agnostique, il revendique sa formation jésuite, il revendique d’avoir été baptisé à 12 ans mais il revendique aussi aujourd’hui d’être en marge de l’Eglise”, avait-on ajouté.
Source:(L’OBS)